Rien n’est plus beau, ce me semble, que de pouvoir, par la parole, captiver l’attention des assemblées humaines, séduire les esprits, entraîner à son gré les volontés, ou à son gré, les détourner d’un choix. Ce pouvoir unique, chez tous les peuples libres et surtout dans les cités vivant en paix et en tranquillité, a toujours été le plus florissant, le plus dominateur. Oui, qu’y a-t-il d’aussi admirable que de voir, dans une foule immense, se détacher un seul homme, capable de faire, seul ou presque, ce que la nature a pourtant donné à tous les hommes ? Qu’y a-t-il d’aussi agréable à l’esprit et à l’oreille qu’un discours bien travaillé et orné par la sagesse de la pensée et la noblesse de l’expression ? Qu’y a-t-il d’aussi puissant, d’aussi magnifique que de voir le discours d’un seul homme faire basculer les passions du peuple, les scrupules des juges, la gravité du Sénat ? Qu’y a-t-il d’aussi royal, d’aussi libéral, d’aussi généreux que de secourir les suppliants, de relever les malheureux, de sauver des vies, de libérer des dangers, de conserver aux gens leurs droits de citoyens ? Mais encore, qu’y a-t-il d’aussi nécessaire que de détenir ces armes dont la protection permet de défier les mauvais citoyens, ou de punir leurs attaques ? […]
Notre plus grande supériorité sur les animaux, c’est de communiquer par la parole, et de pouvoir ainsi exprimer nos idées. Aussi, qui n’admirerait à bon droit cet avantage en pensant qu’il lui faut consacrer les plus grands efforts pour arriver, dans ce talent qui donne, à lui seul, aux hommes leur supériorité sur les bêtes, à l’emporter lui-même sur les autres hommes ? Et pour en venir à l’essentiel, quelle autre force a pu rassembler en un même lieu des hommes dispersés, les tirer d’une vie sauvage et rustique pour les mener à notre niveau de culture et de civilisation, et, pour des États constitués, formuler des lois, les procédures judiciaires, le droit ?
Cicéron, Sur l’orateur, I, 8,traduction d’après J. Gaillard, éd. Nathan.