Thèse : on peut considérer qu'il faut condamner la séduction qu’exercent les œuvres de fiction car :
→ Se laisser aller à des émotions provoquées par des événements qui n’ont pas eu lieu est insensé ; c’est vivre hors du réel, dans lequel n’ont pas eu lieu les événements que le récit fictif met en scène.
ex.
→ Se laisser aller à des émotions provoquées par des événements qui n’ont pas eu lieu est inutile, c’est une dangereuse perte de temps : il y a déjà tant d’événements réels qui pourraient susciter nos émotions et nous pousser à agir, qu’il est coupable de perdre son temps dans la fiction.
ex.
→ La séduction qu’exercent les œuvres de fiction peut être nuisible pour notre développement, en faussant notre rapport au réel : comment distinguer le réel de la fiction, si nous prenons l’habitude de réagir à des récits fictifs comme nous réagirions à des événements réels ?
ex.
Antithèse : on ne peut pas condamner totalement la séduction qu’exercent les œuvres de fiction car :
→ Les œuvres de fiction nous initient aux émotions que nous serons amenés à rencontrer dans la vie réelle ; elles nous y préparent en nous préservant par le prisme de la fiction, en cela elles sont particulièrement utiles à notre développement.
ex.
→ Se laisser séduire (au second sens développé par Francois Dastur, celui de la bonne séduction), c’est se laisser toucher par une altérité, c’est accepter qu’un langage autre que le nôtre intervienne en nous ; étape essentielle au développement de chacun.
ex.
Antithèse plus nuancée :
→ Les œuvres de fiction ne créent-elles pas un nouveau réel ? La fiction est-elle vraiment moins réelle que la réalité qui existait avant la fiction ? On peut supposer qu’être séduit par une œuvre de fiction, ce n’est pas tant être hors du réel que prendre place dans une réalité nouvelle, une réalité de l’esprit qui peut être envisagée comme telle.
ex. la lecture d'un roman provoque de réelles émotions ou réactions : on pleure à la lecture du roman de Zola, L'Assommoir sur le sort de la pauvre héroïne Gervaise, on a peur lors de la lecture d'une nouvelle fantastique de Maupassant comme "La Main"...
→ Les œuvres de fiction créent rarement des émotions sans aucun lien avec les événements réels. Elles reflètent souvent les drames humains, les mettent en scène, et peuvent ainsi être un moyen d’accès à la réalité.
ex. Le Silence de la mer de Vercors, qui sensibilise le lecteur aux rapports entre Français et officiers allemands pendant l’Occupation.
=> Ainsi, se laisser aller à des émotions provoquées par des événements fictifs n’est pas une perte de temps, mais peut-être le meilleur moyen d’accéder plus rapidement à tout ce que la réalité contient de densité humaine, et dont l’habitude nous occulte parfois la vue.
→ Le risque de confondre la réalité avec la fiction n’est pas si grand. Aujourd’hui, l’éducation à la fiction, à l’exercice de la représentation, permet de faire naître en chacun la conscience de la différence entre ce qui relève de la fiction (qui est une réalité de l’esprit) et ce qui relève du réel (la réalité hors de l’esprit). On remarque d’ailleurs que les œuvres de fiction ne provoquent pas les mêmes émotions que la réalité :
ex. voir le héros d’un roman abandonné par celle qu’il aime ne provoque pas la même émotion qu’être soi-même abandonné.