Dans un premier temps, Cyrano s’efforce de rassurer Roxane sur l’innocence de ce baiser, présenté comme inéluctable par le futur « que sera-ce la chose ? »
Il lui montre qu’il s’agit seulement de l’aboutissement d’un parcours sentimental obligé dont il rappelle les étapes déjà parcourues (« badinage », « sourire », « soupirs », « larmes »).
L’abondance des sonorités en ss en traduit la progression aussi « douce » qu’« insensible ».
Puis il minimise adroitement la gravité d’un tel abandon, d’abord par des conseils (« Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose », « Ne vous en faites pas un épouvantement »), puis en donnant du baiser plusieurs définitions à la manière des précieuses.
Il y emploie toujours des expressions diminutives : « à tout prendre, qu’est-ce ? », « un point », « un instant », « un peu », « au bord ».
Mais, en même temps, ces définitions comportent des aspects valorisants qui garantissent la sincérité des gestes : « un serment », « une promesse infinie », « communion », « âme ».
2. Troubler les sens
Cyrano semble vouloir créer un vertige chez Roxane, par la reprise du mot « baiser » et du même tour syntaxique pour juxtaposer les définitions de ce « baiser » : « un point… », « un secret… », « une communion… », « une façon… ».
Il sait aussi jouer de la sensualité des évocations des parties du visage : « lèvres », « bouche », « oreilles » et du champ lexical des sensations : « doux », « goûts », « goûter », « frisson », « bruit ».
L’érotisme de ces allusions est adouci par des métaphores empruntées à la nature : « goût des fleurs », « bruit d’abeilles » qui renvoient à un univers innocent.
3. Un éloge éloquent et sincère
Ensuite Cyrano explore un autre type d’argument : le précédent historique et glorieux du baiser de la reine de France à Buckingham ; le rang des personnages (« noble », « reine », « lords ») ne peut que flatter une simple bourgeoise comme Madeleine Robin, alias Roxane, ainsi assimilée à un personnage de sang royal (« la reine que vous êtes »).
Enfin, Cyrano s’implique d’une façon décisive : il change d’énonciation, passe au je, abandonnant le masque sous lequel il prétendait s’exprimer. Ce lyrisme passionné bouleverse Roxane qui passe alors au tutoiement.
L’éloquence de Cyrano, inspirée par la sincérité de sa passion, subjugue Roxane qui, envoûtée, reprend en écho les plus belles comparaisons de Cyrano : « cette fleur », « ce goût de cœur », « ce bruit d’abeille ».
Les frères Coen, O Brother, 2000 : Where Art Thou? (5/10) Séquence des Sirènes.
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