Séance n°9 : Écriture, entraînement à l'examen
Support : texte de Gaudé
Objectif : répondre à la question en une heure
Question : Comment le chœur permet-il de donner une voix à ceux qui n'en ont pas ?
Autre formulation possible : Comment le chœur porte-t-il une parole politique ?
Le Chœur comme expression de ceux qui n'ont pas la parole (vox populi) => parole politique de l'auteur relayée par le Chœur ?
Introduction
A la suite d'Eschyle, Laurent Gaudé donne la voix à un chœur d'émigrés comme l'indique explicitement la didascalie : "Le chœur des émigrés algériens", mais nous allons voir que cette voix est très différente de celle des Suppliantes qui parvenaient à asseoir une forme d'autorité grâce à leur prise de parole.
Traditionnellement, le chœur représente la voix du peuple. Ici, l'auteur donne la parole a une fraction du peuple qui ne l'a jamais eu ans la société française. La portée de ce texte est donc éminemment politique, comme nous allons le montrer.
1. Une parole déracinée
=> le premier problème que rencontre la parole des émigrés algériens c'est qu'elle n'est pas légitimée par une localisation nationale qui ferait coïncider le lieu de l'émission du message et le lieu de sa validité : les émigrés ont fêté leur victoire à distance et surtout, comble de l'ironie, n'ont pas pu repartir
- opposition "là" / "ici" dès l'ouverture du texte qui exprime une opposition entre un lieu lointain et celui où on s'exprime. Or, dès le vers 4 le "là" devient problématique puisque juxtaposé avec "A Nanterre la Folie" on ne sait plus très bien ce qu'il désigne => confusion spatiale qui montre aussi la confusion psychologique dans laquelle se trouve le chœur.
- puis disparition de l'adverbe "ici" au profit de "là" au vers 12 qui montre qu'"ici", c'est-à-dire le lieu où ils vivent leur est étranger puisqu'il est désigné par "là"
- opposition spatiale qui se double d'une opposition temporelle : "cette nuit-là" qui aurait du marquer un changement et un retour au pays et n'a pas été suivie d'effets
- opposition des champs lexicaux : péjoratifs pour la France (""bidonvilles, "folie", "baraques"...) et mélioratifs pour l'Algérie ("libération" ; "indépendance" ; v 18 : "dans une chaude odeur de miel et de méchoui")
2. Une parole brimée : l'oppression du peuple par les dirigeants
=> dans sa manière de s'exprimer le chœur des émigrés fait la preuve qu'il n'a pas l'habitude d'avoir la parole :
- parataxe vers 1 à 5 (pour simplifier : absence de coordination et de subordination entre les propositions) qui montre peut-être l'absence de lien entre la parole proférée et son impact dans la société et l'absence de lien entre la parole et le sens.
- brièveté de certains vers qui hachent la parole (vers 34 - 36 par exemple) => parole coupée, blessée, amputée.
- vers 21 : opposition entre une parole proclamée (dans une forme passive qui efface le sujet et la rend presque autonome, comme si on ne pouvait savoir qui en était l'auteur, qu'elle tombait d'en haut) et une parole qui n'est même pas dite à voix haute ("nous avons pensé") => l'accusation ne vise pas seulement la France mais aussi l'Etat algérien => double oppression
- emploi du conditionnel "qu'il y aurait" (vers 24) qui montre bien l'opposition entre un désir et la déception du réel :
- lignes 25 - 28 : opposition entre le déterminant défini "la nation"' (censé représenter un ensemble de personnes) et la répétition des déterminants possessifs de P4 qui montre la distance entre le gouvernement et son peuple
- importance des négations qui montre la privation des droits et en particulier celui d'être entendu (vers 31 "non" ; v. 30 et 37 répétition de "Personne ne repartait"...
3. Une parole paradoxale : des vainqueurs qui s'expriment comme des vaincus
=> dès l'ouverture du texte, le chœur place son intervention dans la sphère du politique :
- avec l'expression "guerre de libération" (vers 2) qui n'est pas l'appellation que l'on trouve dans les manuels d'histoire en France car elle se place du côté des Algériens et sa reprise par l'expression "fête de l'Indépendance" (avec une majuscule qui insiste encore sur la force de l'événement). Or, on sait bien que la colonisation est encore un problème non complètement réglé, ne serait-ce justement que dans les mots
- confusion et généralisation méprisante du mot "Arabes" mis en valeur par la majuscule et les guillemets mais devenu péjoratif dans la bouche de ceux qui le prononcent sans faire aucune distinction de personnes => racisme insidieux et quotidien ; poids des mots comme arme blessante
- insistance sur l'effet physique et psychologique d'un tel vocabulaire : "rougir" ; "tête baissé"
- le dernier vers met l'accent sur l'absurdité de la situation : les Français ne sont pas nommés en tant que tels mais sont désignés explicitement, et réduits à leur rôle de perdant dans la guerre évoquée au début grâce à la subordonnée relative qui complète un pronom démonstratif "ceux que nous avions battus" => vengeance par les mots
- mais ce sont les émigrés qui sont obligés d'être dans une position de demande.
Conclusion :
A travers la manière dont se présente le chœur des émigrés, l'auteur prend clairement leur parti puisqu'il met en valeur l'injustice et l'absurdité de leur situation. Il n'a pas recours au pathos traditionnel de la tragédie mais privilégie le factuel pour mettre directement sous les yeux ou les oreilles du lecteur / spectateur le spectacle de cette misère imméritée.